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Luis de Guindos
Vice-President of the European Central Bank
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Entretien avec Le Monde

Entretien accordé par Luis de Guindos, vice-président de la BCE, à Éric Albert le 15 décembre et publié le 22 décembre

22 décembre 2022

Comment décririez-vous la conjoncture économique de la zone euro aujourd'hui ? Sommes-nous en récession ?

Les indications pour le quatrième trimestre suggèrent que nous sommes peut-être en territoire négatif, mais de manière peu marquée, avec une contraction attendue du PIB de 0,2%. Les indicateurs avancés que nous avons ne sont pas bons. Selon nos projections, la zone euro devrait ainsi entrer dans une récession légère au dernier trimestre de cette année ainsi qu'au premier trimestre de 2023, où le PIB devrait se contracter de 0,1 %.

Sur cette base, pourquoi la BCE durcit-elle sa politique monétaire ? Jeudi 15 décembre, vous avez augmenté le taux de la facilité de dépôt de 0,5 point, à 2%, tandis que Christine Lagarde, dans sa conférence de presse, a annoncé plusieurs nouvelles hausses de taux en 2023. Ne risquez-vous pas d’accentuer la récession ?

Regardez nos projections d’inflation. Nous avons publié nos projections en septembre, puis de nouveau en décembre. Entre ces deux exercices, nos prévisions de croissance n’ont pas beaucoup changé : elles sont un peu meilleures que prévu pour 2022, avec une révision à la hausse, de 3,1% à 3,4%, un peu plus basses pour 2023, avec une révision à la baisse, de 0,9% à 0,5%, et identiques en 2024, à 1,9%. Les changements substantiels concernent toutefois l’inflation, qui a été revue à la hausse de manière assez significative, passant de 5,5% à 6,3% pour 2023 et de 2,3% à 3,4% pour 2024.

Certes, mais l'inflation semble avoir atteint un pic. En zone euro, elle est passée de 10,6% en octobre à 10,1% en novembre. Avec les prix des matières premières qui reculent, cette tendance devrait continuer…

Nous pensons qu’au cours des deux ou trois prochains mois, l’inflation demeurera autour du niveau actuel, puis, au deuxième trimestre de l’année prochaine, elle enregistrera effectivement une baisse, pour s’établir autour de 7% en milieu d’année. Mais cela reste clairement au-dessus de notre objectif de stabilité des prix, à savoir une inflation de 2% de à moyen terme. Nous n’avons pas d’autre choix que d’agir.

Mais vous agissez en étouffant le peu de croissance qui reste…

La politique monétaire fonctionne en freinant la demande, ce qui freine la croissance, il n'y a pas d’autre possibilité. Mais si nous ne faisions rien, la situation serait pire, car l’inflation est l’une des raisons de la récession actuelle. Elle réduit le revenu disponible des ménages et touche particulièrement les personnes les plus vulnérables. Ainsi, en réduisant l’inflation, nous contribuerons à la croissance.

Jusqu’où la BCE doit-elle augmenter ses taux d’intérêt ? Christine Lagarde a été claire le 15 décembre en disant que la BCE prévoit d’augmenter les taux de 50 points de base [0,5%] lors de la prochaine réunion, encore de 50 points de base lors de la réunion suivante et peut-être encore à la réunion d’après, ce qui nous amènerait à un taux de la facilité de dépôt de 3,5%. Confirmez-vous ?

Effectivement, les hausses de 50 points de base pourraient devenir la nouvelle norme à court terme. De plus, nous prévoyons de relever les taux d’intérêt à ce rythme pendant un certain temps. Et enfin, nous allons orienter nos taux d’intérêt vers un territoire restrictif. Les mesures prises jusqu'à présent vont avoir un effet sur l'inflation, mais nous devons faire plus encore.

Les salaires en zone euro devraient augmenter de 4,5% cette année et de 5,2% en 2023, selon les prévisions de la BCE. Voyez-vous un risque de spirale inflation-salaire ?

Les salaires rattrapent leur retard et je pense que c’est normal. S’agit-il d’une spirale salaires-prix ? Pas pour le moment. Mais ce qui importe vraiment, c’est que nous ne perdions pas notre crédibilité, autrement dit que nous évitions un désancrage des anticipations d’inflation. Si les ménages commencent à penser que la BCE n’en fait pas assez et anticipent une inflation de 7% ou 8 % pour chacune des trois prochaines années, ils demanderaient alors une augmentation de salaire de 7% ou 8 % et le processus de spirale se déclencherait. Cela voudrait dire que nous avons perdu notre crédibilité.

Dans les années 1970, l’une des raisons pour lesquelles il y a eu une spirale est que les salaires étaient indexés sur l’inflation. Ce n’est presque plus le cas aujourd’hui, sauf en Belgique. La situation n’est-elle pas très différente ?

Dans le cas de la Belgique et aussi du Luxembourg, l’indexation demeure presque automatique. Par ailleurs, si vous prenez l’Espagne, les chiffres de la banque centrale nous apprennent que 25% des nouveaux accords salariaux sont maintenant indexés sur l’inflation. Il y a un an, il n’y en avait presque aucun, donc la tendance est orientée à la hausse.

En augmentant les taux d’intérêt, ce qui ralentit l’économie, vous allez rendre pas mal de gouvernements mécontents. Est-ce un test pour votre indépendance ?

La meilleure façon d’aider les gouvernements est de réduire l’inflation. Parce qu’aujourd'hui, l’inflation est le principal problème de nombreux pays européens. Certes, la hausse des taux signifie une augmentation des coûts de financement pour les gouvernements. Mais nous avons un mandat et nous devons nous y tenir : l’inflation est actuellement de 10%, avec une inflation sous-jacente de 5%, alors que notre objectif est de 2%.

Vous n’avez donc pas le choix ?

Nous n’avons pas le choix. Et je pense que le fait de ne pas avoir la possibilité de s’écarter de cet objectif est une bonne chose. Parce que si nous ne contrôlons pas l’inflation, si nous ne la plaçons pas dans une trajectoire de convergence vers 2%, l’économie ne pourra pas rebondir.

Vous êtes également chargé de surveiller la stabilité financière. Quelles sont vos inquiétudes ?

Les conditions de stabilité financière se sont détériorées, en raison d’une croissance plus faible, d’une inflation plus élevée et d’un resserrement des conditions de financement. Je crains que les marchés sous-estiment la persistance de l'inflation. L’inflation est revenue de 10,6% à 10,1% dans la zone euro, mais cette baisse ne suffit pas.

Je crains également que les marchés estiment qu’une politique budgétaire est incompatible avec la politique monétaire, qu’il y ait un conflit potentiel. C’est ce qu’il s’est passé en septembre au Royaume-Uni. Enfin, les banques ont un capital solide et elles peuvent résister à un choc. Mais j’ai beaucoup plus de doutes en ce qui concerne les non-banques, en particulier les fonds spéculatifs (hedge funds). Leur niveau d’endettement est énorme, ils détiennent des actifs très peu liquides et ont accumulé des actifs risqués. Une hausse brutale des taux pourrait alors engendrer des problèmes.

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